vendredi 24 avril 2015

Ralph Ellison, Toni Morrison et les autres

Un point m'a particulièrement surprise en commençant Home de Toni Morrison: jamais il n'est fait allusion à la couleur de la peau du personnage et, imaginons, si on lisait ce roman couverture masquée - tellement il est évident que les personnages de Toni Morrison sont noirs - on pourrait très facilement se méprendre.
Toni Morrison
Dans un roman américain, français, anglais ou européen de manière générale, l'auteur se débrouille toujours pour préciser si un des personnages n'est pas blanc, or ici: rien.
Ca m'a dérangée. Et ça m'a dérangée que ça m'ait dérangée! Après tout, a-t'on vraiment besoin de marquer sans cesse cette différence? Doit-on toujours signaler cette différence de couleur "j'ai vu un magnifique enfant noir qui jouait dans le parc"?
Toni Morrison, dans son roman, semble vouloir dire non en tout cas. Ses personnages sont, c'est tout.
Ralph Ellison
Dans Homme Invisible, pour qui chantes-tu? de Ralph Ellison, le personnage s'identifie toujours en négatif des Blancs. Tous ses gestes, ses paroles, ses choix sont dictés par la réaction que pourrait avoir le Blanc. Nous sommes dans les Etats du Sud des Etats-Unis dans les années 40, mais je donnerais ma main à couper que cette attitude plus ou moins inconsciente prévaut encore dans ces états.
Tout ce qui n'est pas blanc est Autre, par défaut, voilà un système de pensée qu'il est dur d'enrayer même pour les plus ouverts. Doit-on arrêter de dire Un Noir - c'est presque déjà fait - un Black - plus cool mais finalement, le sens est le même! - et ne plus rien dire du tout?
Et que penser des pays d'Amérique du Sud, où chaque habitant est le fruit de mélanges à toutes les sauces et où on peut appeler son meilleur ami "negrito" qu'importe sa couleur, où on compare les différentes nuances de couleur de peau sans provoquer aucune gêne sinon la nôtre, Européens?






Je voyais sur leurs mentons, à la place de leur jus de tabac favori, scintiller de l'écume de sang, et sur leurs lèvres, le lait caillé des mamelles flétries d'un million de nounous noires à l'état d'esclavage; moyen perfide et fluide de connaître notre essence, absorbée à notre source même et maintenant régurgitée tout aigre sur nous. Ceci est notre monde, disaient-ils en nous le décrivant, ceci, notre horizon et sa terre, ses saisons et son climat, son printemps et son été, et son automne et sa moisson, pour une durée inconnue, millénaire; et ceci, ses inondations et ses cyclones, et eux-mêmes figuraient notre terre et nos éclairs; et ceci, nous devions l'accepter et l'aimer, l'accepter même si nous ne l'aimions pas.
 Homme Invisible, pour qui chantes-tu? 


2 commentaires:

Purple velvet a dit…

étonnamment je ne me pose presque jamais la question, vu que je ne m'imagine pas vraiment un physique particulier aux héros de romans ( bon, dans le cas d'un roman ou d'un texte africain, il y a de fortes chances que les personnages soient noirs, ou dans un texte asiatique, etc...... mais même là, je dirais que j'en fais abstraction si ça n'a pas d'importance dans le cadre du texte. Manque d'imagination visuelle probablement).
Pourtant il m'est arrivé une fois le cas inverse avec La ballade de Lila K. Tout est raconté en vue subjective, sans jamais évoquer le physique de l'héroïne. Bon, parfait, je m'imagine donc Lila comme je veux, c'est une jeune femme qui a un passé difficile, et allez savoir pourquoi, je me la suis imaginée brune, métisse, avec un visage et des mains marqués de cicatrices( elle a été blessée enfant, je ne dirais pas comment, ça serait spoiler, étant jeune et ses marques sont évoquées indirectement). Peut-être justement parce que l'auteur fait tout pour la différencier du milieu standardisé où on la parque, ça me plaisait d'avoir une héroïne différente de ce qu'on a l'habitude dans un roman français. Sauf que parvenue à la moitié du livre, patatras, on apprend que Lila est blonde, mince et belle. C'est gentil, mais ça arrive trop tard, et ça ne cadre pas avec tout ce qu'on nous raconte auparavant, ce physique de conte de fée. C'est bête, mais j'ai eu l'impression pour le coup que l'auteur ne jouait n'allait pas jusqu'au bout de son procédé et me volait ma représentation de son personnage, après avoir tout fait pour que le lecteur se fasse sa propre idée.
Depuis, j'évite de me représenter un personnage qui n'est pas directement décrit.
Par contre en matière d'adaptation, au niveau du personnage de Ford dans H2G2 l'acteur était blanc dans la série, noir dans le film, et ça ne m'a pas posé de problème, j'ai plus été gênée par les sous-entendus homosexuels du film qui n'avaient pas lieu d'être si on se réfère au texte.
En tout cas, intéressante comparaison de deux auteurs qui ont une démarche tout à fait différente - et que je n'ai pas encore lus, honte à moi, et qui m'a faite réfléchir à mon expérience de lectrice.

Myrthe a dit…

Merci pour ton commentaire Purple Velvet! Tu t'étais imaginé naturellement un visage sur Lila K., et de mon côté j'ai eu beaucoup de mal à le faire pour Home justement, parce que je me doutais qu'elle serait noire mais comme Toni Morrison n'en parlait pas j'étais perdue...