samedi 28 février 2015

La Mort, l'Amour et les Vagues


Trois nouvelles et trois hommes, dans le Japon des années 50.

Si le premier n'a plus d'illusions et vient dans cet hôtel dans le but de mettre fin à ses jours, une fois son volume Voyage en Orient de Guillaume de Rubrouck achevé, le deuxième, lui, commence une vie nouvelle. Fraîchement marié, amoureux de sa jeune épouse, il l'emmène sur les lieux de ses années d'étudiant, pour contempler le Jardin de Pierres qui fait resurgir des événements majeurs dans sa vie. Le troisième, enfin, clôt le recueil logiquement. Veuf d'une femme qu'il a un peu aimé, il lui reste pourtant fidèle pour des raisons qui lui sont chères et dont il va se remémorer.

Récits de vies sans éclats, ironiques, désillusionnées mais tendres également et parfois d'amour, ils sont écrits d'une plume concise et lumineuse. Les femmes y sont décrites comme les hommes, faibles et fortes tout-à-tour mais sans pitié de la part de Inoué. J'ai particulièrement aimé l'ironie sans surprise de Jardin de Pierres, mais aussi les descriptions de la mer de la première nouvelle, les couleurs qu'elle prend au soleil ou à la tombée de la nuit, le mouvement incessant des vagues contre les rochers, l'humidité marine qui pénètre par la fenêtre ouverte de l'hôtel, ce bout du monde, la solitude, la honte et la mort.




jeudi 26 février 2015

America suivi de En Orient, de William Cliff

 Comment tout d'abord ne pas penser à Blaise Cendrars et à ses poèmes, quand on lit ce recueil de William Cliff?
Ce poète belge contemporain voyage un crayon et un carnet à la main, que ce soit en bateau, en bus ou en train, bercé par le roulis des vagues, secoué par les routes de montagne.
Le livre se décompose en deux parties, comme l'indique le titre. Deux voyages, deux expériences.
Les poèmes de la première partie sont d'ailleurs plutôt répétitifs, monotones, réguliers, lents, à l'instar de ce voyage en bateau avant la découverte de la côte sud-américaine.
La deuxième partie est plus dense et plus animée, le rythme est plus saccadé, et on y devine l'atmosphère chargée, surpeuplée du Pakistan.
William Cliff porte un regard ouvert mais surtout dénué de préjugé sur les personnes qu'il croise, tout en gardant la conscience aigu de leurs différences, lui le touriste occidental, et l'autre l'autochtone, le Noir membre d'un gang, la petite bergère, le vieil homme.
Ses poèmes sont aussi une manière de détourner le quotidien du voyage en quelque chose de plus intemporel: mécanique, composition des repas, chambres d'hôtel...
J'ai aimé me laisser transporter ainsi sur différents continents et y goûter l'atmosphère, prendre de nouveau la route maritime de Belgique au Brésil, un demi-siècle après Cendrars et Au Coeur du Monde.


"There was nothing but that savage Ocean between us and Europe."


approche approche-toi monstre brutal
viens donc vomir selon ton habitude
tes filandreux rouleaux d'algue et d'écaille
en ricanant de ton rire d'écume
il me semble aujourd'hui que ton allure
se fait plus vive aurais-tu pas comme une
désir de bouffer quelque humain destin
pour te venger qu'à tes deux flancs l'on joue
à défier ta force à coups d'engins
qui te surmontent et volent sur tes joues


Adèle et la Vie en Bleu

La Vie d'Adèle versus le Bleu est une Couleur Chaude. J'attendais beaucoup de l'un et l'autre, j'aime autant le cinéma que la BD et le roman graphique, alors pourquoi les opposer?
Il y a une semaine, j'ai vu le film. Hier soir, j'ai lu LE LIVRE.

Commençons par celui-là. J'aime la couverture. Cette fille sensuelle et forte, indépendante, charmeuse, que Léa Seydoux, dans le film, a su merveilleusement interpréter, jusqu'à ce regard justement. Puis j'ai ouvert le livre, et au premier regard, j'ai été déçue par ces visages, celui de Clémentine surtout, que je trouvais trop simple, pas assez expressif. Mais j'en étais encore à la sensualité exacerbée, exagérée d'Adèle dans le film, interprétée par Adèle Exarchopoulos.
Si on passe les premières pages qui révèlent d'emblée la mort de Clémentine, on parcourt avec Emma le journal qu'a tenu Clémentine à partir de ses quinze ans. Là, c'est sûr, c'est authentique. Le ton, les erreurs, les intérêts de la jeune fille, je m'y retrouve au même âge. Et puis, peu à peu, le récit prend de la profondeur, de la complexité, du drame, tout ce qu'il faut pour qu'on s'accroche et ne veuille plus quitter les deux filles, jusqu'au dénouement.
La découverte et ensuite l'apprentissage de l'homosexualité, l'étrangeté des sentiments, la beauté et la délicatesse de cette relation, la honte, l'incompréhension, la solidarité de l'ami homo - et des autres - ... Julie Maroh aborde tout cela avec beaucoup de fraîcheur, de sincérité et de respect.
Bref, ce livre m'a réconcilié avec la complexité de cette relation qui m'a pesé dans le film.
Disons-le franchement, celui-ci m'a déçue et ennuyée.
J'avais aimé d'autres oeuvres d'Abdellatif Kechiche, en particulier La Graine et le Mulet, et j'aime ce versant psychologique de certains films, les intrigues sans grands suspens, tout cela ne me gêne pas. Mais. Bien que belles, les scènes érotiques: too much, trop long. L'interprétation d'Adèle Exarchopoulos: itou. Sans aucun doute le désir du réalisateur qui est en cause. Mais: ce nez qui coule sans cesse, cette manie de se coiffer et décoiffer à chaque scène, ces lèvres constamment entrouvertes, ce regard vague, tout ce qui est sensé évoquer sa fragilité, son innocence mais qui finit par m'agacer prodigieusement.
Il y a également ce manque de cohérence quant aux étapes. On ne comprend pas comment elles ont pu ainsi s'installer ensemble après avoir menti aux parents d'Adèle sur leur relation, ni pourquoi Adèle se retrouve soudain enseignante alors qu'elle était étudiante en première L il y a peu... bref il y a eu trop d'invraisemblances, d'ellipses, pour un film qui dure pourtant trois heures.
Il y a, enfin, et malheureusement, cette polémique autour de l'attitude du réalisateur envers son équipe, son irrespect envers Julie Maroh qu'il n'a jamais ni recontacté ni remercié une fois les droits obtenus, cette polémique qui gâche un peu le plaisir.

Bref, résultat du match:

Le Bleu est une Couleur Chaude: 1
La Vie d'Adèle: 0

ps: voici un lien sympa vers le blog de Julie Maroh au moment où elle tentait de trouver un éditeur pour Le Bleu est une Couleur Chaude, à lire!
http://djou-bd.over-blog.com/categorie-10345749.html

mercredi 25 février 2015

Sukkwan Island, de David Vann

Sukkwan Island est un roman qui me faisait peur, jusqu'à ce que je le lise. Il semblerait que David Vann n'est pas un auteur léger, de compromis. 
Apre, violent, cruel, émouvant, oui. Effrayant, finalement, non.
L'île où ce père à bout, pas si loin de la folie, décide de vivre pour un an, tel un Robinson, porte en son creux cette histoire qui lui ressemble. Sauvage, soumise aux tempêtes hivernales, déserte, offrant un minimum de ressources. On n'en voudrait pas à Jim de trouver là lieu de se ressourcer et de se remettre des multiples échecs de sa vie. On comprendrait également qu'il se laisse aller à sa folie, qu'il finisse par vouloir mettre fin à sa vie. Mais dans sa perversité inconsciente et égocentrique, Jim force la main à son fils Roy, 13 ans, en lui demandant de le suivre dans ce périple. Pour Roy, refuser serait comme livrer son père à la solitude et au suicide. Il se sacrifie. Jusqu'au bout.
Sukkwan Island est une histoire tragique qui se prolonge après l'"événement" dont je ne parlerai pas. Pas grand chose nous est épargné des tourments qui suivent ni des visions. Mais autant les descriptions de cette nature que ce que ressentent père et fils tour-à-tour sont riches d'authenticité.
Sukkwan Island fait partie de cette mini-vague littéraire consistant à aller au bout du pire par le biais d'un père et son enfant: La Route, En Mer, Traité sur le Zen et l'Entretien de la Motocyclette, tous ces romans relatent cette relation au père faite de confiance et d'étrangeté.
Ceci est ma première lecture de David Vann, mais je souhaite en découvrir d'autres maintenant. Je suis curieuse également de lire l'adaptation BD qui vient de sortir.

dimanche 22 février 2015

La Ballade de Willow, de Jamie Ford

Seattle, Chinatown, dans les années 30. Dans ce roman, on voyage dans les années de prohibition et de la Grande Dépression sous le regard d'une jeune femme d'origine chinoise et de son fils, William.
Tout commence par l'orphelinat dans lequel celui-ci vit depuis ses sept ans; autant vous dire qu'à cette époque, ce lieu n'avait rien de plaisant, encore moins pour un "jaune" qui n'a d'ailleurs aucune chance de se faire adopter, tout comme sa seule amie, Charlotte, aveugle et abandonnée par son père.
A 12 ans, William apprend que sa mère Liu Song est toujours vivante et peu après, la reconnaît sous les traits de l'artiste Willow, actrice, danseuse et chanteuse. Celle-ci vient se produire dans sa ville d'enfance, Seattle: la chance pour William de la retrouver, et pour Charlotte d'échapper au centre pour aveugles qui l'attend.
Si le début du roman m'a laissée dubitative quant à la crédibilité des situations comme à ce côté un peu trop romanesque à mon goût, je me suis ensuite laissée emporter par le récit de la vie de Liu Song avant qu'elle ne devienne Willow et abandonne son fils qu'elle aimait tant. On y découvre le Chinatown de cette époque, les coutumes et croyances chinoises qui perdurent dans le Nouveau Monde, ainsi que la difficulté pour une jeune fille-mère de parents chinois, artistes de surcroît, d'élever son enfant dans une société bien-pensante.
La Ballade de Willow est un roman touchant, ancré dans les années 30, parsemé de références à cette époque en pleine mutation. L'industrie du cinéma vient de naître, Willow et son ami Colin font partie des pionniers, tout comme ils appartiennent à l'univers tout autant admiré que décrié des artistes.

Merci Babelio et les Presses de la Cité pour cette jolie découverte.

vendredi 20 février 2015

Marjorie la Brebis

Marjorie la brebis



Tout le monde lui avait dit, que non, "les BREBIS ne faisaient pas de VELO!!"

-"Comment tu vas monter dessus, toi qui ne tiens même pas debout?"
-"Et pour freiner, hein? Avec tes sabots qui ne peuvent rien attraper?"
-"Mais tu auras l'air ridicule, pauvre patate, sur ton vélo!"
-"Tu es trop vieille!
-Trop grosse!
-tu auras trop chaud sous ta laine!
-nooon, maman, je t'en supplie, j'aurai trop honte!"

Marjorie avait bien écouté tout le monde, et en effet, jamais on n'avait vu de brebis faire du vélo! Mais voilà...  il y en avait un, là, un bleu tout rouillé, qui traînait depuis des mois contre la bergerie, il semblait qu'on l'ait oublié...   A force de le voir, matin et soir, et soir et matin, puis de voir le petit Tom passer et repasser sur le sien en crânant, ça lui donnait une sacrée envie d'essayer, à Marjorie!

Et puis d'abord quoi, trop vieille? Trop grosse? Ridicule? Marjorie émit un bêlement qui voulait tout dire! On n'a jamais vu de brebis sur un vélo? Et bien, il fallait bien une première à tout!

Bientôt on vit Marjorie, la vieille brebis, courir comme une folle dans le pré. Tous les jours elle fit dix, vingt, TRENTE tours autour du troupeau qui d'abord la regarda bizarrement, puis, comme à  tout, s'habitua et se remit à brouter son herbe en bêlant de temps en temps.
Elle choisissait maintenant avec soin les herbes les plus vertes et riches en vitamines et, régulièrement, allait se cacher à l'entrée du petit bois pour y faire sa gymnastique.
Bien sûr, le berger commençait à la regarder d'un mauvais oeil.

Marjorie avait aussi, en Ralph, un ami fidèle et dévoué, prêt à l'aider. Ralph était le chien de berger qui avait grandi avec elle et avec lequel elle avait en son temps fait les quatre cents coups, comme n'importe quel chiot et agnelle de quelques mois.
Le soir, quand toutes les brebis dormaient et que les maîtres étaient enfin passés à table, Ralph sortait de sa niche et rassemblait tout le matériel nécessaire: une planche, un rondin de bois, un égouttoir en fer. Enfin, une nuit de pleine lune, il gratta contre la porte de la bergerie. Cétait le signal.
Marjorie, qui jusque là avait fait semblant de dormir, vérifia que son petit agneau était bien plongé dans le sommeil - il bougeait les pattes, sans doute rêvait-il qu'il gambadait- et elle se faufila par la porte que Ralph avait entrouverte de son museau.

"Ca y est, dit-il, tout est prêt. Maintenant à TOI. Wouf".




Les jours rallongeaient, le printemps était de retour. Marjorie attendait le jour de la tonte avec impatience et fut la première à se précipiter dans les bras du berger quand le moment fut venu. En vieille brebis expérimentée, elle ne bougea pas, et quand toute sa laine fut tombée, elle bêla même un remerciement. "Demain sera le grand jour! se dit-elle ensuite" et cette fois-ci, dans le pré, elle fit QUARANTE tours. Mince et allégée de tout le poids de la laine, Marjorie se sentait en pleine forme!


Le jour se levait à peine que le berger, la bergère, Tom et toutes les brebis étaient déjà dehors, aux portes de la bergerie. Tout le monde fut bien surpris de voir Marjorie parée d'une passoire métallique sur la tête et debout sur une planche qui était en équilibre sur un rondin de bois.

Quand tout le monde fut autour d'elle, elle lança un grand "bêêêêêh " et immédiatement Ralph prit son élan et sauta sur l'autre bout de la planche: Marjorie s'envola et atterrit pattes écartées sur le vieux vélo bleu qui, pris par la vitesse de l'atterrissage, partit aussitôt en avant; Marjorie posa ses sabots sur le guidon, et se mit à pédaler à toute vitesse. Tout le monde, troupeau comme berger était bouche bée: OOOOOHHH!   AAAAAAAHHHH!!!!  WAAOOUHH!!!"
Marjorie, enchantée, faisait le tour de la cour, revenait à la bergerie, fonçait dans le troupeau de brebis, repartait vers le potager et pédalait entre les plants de salades et de navets.

Très vite ce fut la cohue autour d'elle: "moi aussi! moi aussi! apprends-nous Marjorie! On veut faire du vélo, comme toi! bêêêêhh!"
Le berger commença à siffler pour réunir tout le troupeau mais sa femme posa la main sur son bras et lui dit: "Laisse-les donc s'amuser un peu, le lait n'en sera que meilleur et nous pourrons vendre de délicieux fromages allégés!"
Le berger, avec l'aide de Ralph, décida alors de leur apprendre, et inventa même un système de frein à sabots pour qu'elles puissent s'arrêter dans les côtes.

C'est ainsi que l'on vit, sur le chemin des pâturages, passer tous les jours des brebis qui pédalaient en tirant la langue pour aller à leur pré. Bientôt tout le monde entendit parler d'elles et des touristes vinrent du monde entier voir le célèbre troupeau de monsieur Léger.
Et bien sûr, les nouveaux fromages de brebis allégés eurent un énorme succès!



Premier prix du concours de Nouvelles "Les Petits Monstres à Vélo", La maison du Vélo, 2014

jeudi 19 février 2015

à la sortie de l'école


Bou et les 3 zours de Elsa Valentin

Voici un livre très spécial et que je conseille plus que vivement!
D'abord, les illustrations: très gaies, très colorées. Les dessins sont sans relief et conçus comme une superposition de collages, sans en être. Bou est adorable, espiègle et a de belles joues respirant la bonne santé. Les fleurs ont des visages, le soleil aussi et ressemble a une grosse fleur pleine de pétales. Les trois ours, ont des salopettes très sympathiques.
Le texte maintenant: un vrai travail de création, et un résultat à la fois drôle et très intelligent que je prends un énorme plaisir à lire à haute voix, en changeant de ton et de rythme selon les mots. 
Je vous livre maintenant le secret de ce texte, si vous ne le connaissez pas: chaque phrase mélange mots français, anglais, espagnol et italien -une sorte d'espéranto en fait!-, invente de nouveaux mots à partir des sonorités, du sens, ou joue sur les mots-valises. Bref, pas une seule phrase en français courant. et ça marche! J'ai testé, l'air de rien, j'ai posé des questions au fil de la lecture, et mes enfants comprenaient très bien! Bien sûr, les enfants sont tellement habitués à entendre des dialogues ou des histoires dont ils ne comprennent souvent qu'une partie, le reste appartenant à l'obscur, au mystère. Ils m'ont écouté, attentifs, amusés, répétant des mots, des expressions.

Oups, j'avais oublié, mais vous l'aviez deviné: c'est bien sûr une adaptation de Boucle d'or et les trois Ours!

mercredi 18 février 2015

Charles à l'Ecole des Dragons, d'Alex Cousseau


Quelle merveille! Voilà un livre grand format qui promet, rien qu'avec la couverture, un univers fantastique (dans tous les sens du terme) aux enfants. Mais quand on ouvre le livre, waouh! Dans la double page qui précède le récit, une foule de dragons de toutes couleurs et toutes formes s'entremêlent, il y en a pour tous les goûts et des heures d'observation.
Puis, on suit la naissance de Charles, petit dragon aux pattes et ailes immenses et magnifiques." Le plus beau!" disent et répètent ses parents aux regard bienveillant. Ceci dit, Charles est un petit dragon ma foi bien râleur... il n'y a qu'à voir sa tête renfrognée et les poèmes qu'il déclame tout petit:
"le monde est si moche, cher papa, chère maman,
Regardez l'horizon et dites-moi si je mens.
Ignobles cieux, horribles monts, vilaines vallées,
Tant de misère et de laideur, c'est dur à avaler..."



L'âge venu, Charles va à l'école, et, alors que ses camarades apprennent à brûler des cahiers, lui les noircit de poèmes et se fait mal voir... sans compter que ses ailes immenses l'empêchent d'apprendre à voler et le soir, il traverse à pied la forêt enneigé.
Les illustrations sont tout simplement somptueuses, vives, éclatantes, et on ne se lasse pas de les contempler. Quant à l'histoire, elle nous enseigne la différence, la tolérance et la persévérance.

Un livre à offrir  à tous les enfants, garçons comme filles, sans hésitation.



dimanche 15 février 2015

Road Trips: Voyages photographiques à travers l'Amérique - David Campany



Ce livre est une merveille, et un sacré pavé également! 
David Campany s'attache à regrouper dans Road Trip les photographes majeurs de la route américaine, qu'ils soient américains, européens ou japonais. 
C'est une vieille histoire, aussi vieille que celui de l'invention des automobiles qui a aussitôt suscité, sur le continent (nord) américain, le voyage et la découverte. Quoi de mieux, pour cela, que de s'armer d'un appareil-photo?



Dans cet album, j'ai découvert l'ancêtre de Google Maps, mais surtout de fabuleux photographes: Jacob Holdt, ses riches et ses pauvres; Todd Hido et ses photos oniriques, Taiyo Onorato et Nico Krebs, et leurs photos insolites.
Sociales, artistiques, décalées, chacune d'entre elles offre une vision parcellaire de ce grand continent chargé de symboles, à l'imagerie si riche.



Ce magnifique album est surtout un livre à rêver, rêves de longs voyages et de paysages fantasmés, rêves de liberté, de légèreté, d'oubli de soi.
Un seul regret; non, deux: le premier, que Dorothea Lange ne figure pas dans le lot des 18 photographes présentés, même si elle est évoquée. le deuxième, qu'on n'ait pas rempli ces pages blanches de plus de photos encore!
Mais, il y a Robert Franck, des cartes du continent, et une introduction fascinante, et surtout toutes ces photos qu'on ne se lasse pas de découvrir et déguster.





samedi 14 février 2015

Conseils d'écriture de Dany!

Un bon roman n'est pas loin d'un poème en ce sens qu'il laisse traîner chez le lecteur un sillage nostalgique. On reste, un long moment, sans bouger. Comme si on venait de voir remonter à la surface un monde qu'on croyait depuis longtemps englouti.

Dany Laferrière - Journal d'un Ecrivain en Pijama

Flying blues : Carnet d'images de Emmanuelle Han


Ni essai, ni recueil de poésie, ni vraiment livre de photographies, et pourtant un peu tout cela à la fois... ce bel objet - pas du point de vue matériel, j'y reviendrai- est difficile à cerner, tout comme le contenu de cette oeuvre.

Emmanuelle Han a tenu, tout au long des tournages à travers le monde auxquels elle a participé pendant des années, une sorte de journal-photo, dont elle nous livre ici des extraits.
Courts textes souvent poétiques, ancrés dans le présent, sont juxtaposés à des photos pour la plupart prises sur le vif. Instants, fugacité. Pour capter des flagrances, toucher du doigt, essayer de comprendre l'essence d'un pays trop vite traversé et impalpable.
Mais on y retrouve aussi des séries de photos de chambres d'hôtel, de lits à peine défaits, le temps d'une étape.
Dans ce livre, Emmanuelle Han a voulu retranscrire ce sentiment d'étrangeté lorsqu'on arrive dans un lieu inconnu, après des heures d'avion, mais aussi la mutation d'un monde dont les villes, à force de s'enchaîner, se juxtaposent, se ressemblent, sont toutes les mêmes. Mondialisation. Overdoses d'images à travers le monde; Incapacité de voir autre chose que ce que l'on veut voir, ce que l'on connaît.
Pour Emmanuelle Han, la nature de ses voyages la plonge dans une sorte de désarroi, de solitude et de perte d'identité. Tout au long de ces années, elle médite sur ce qu'elle voit, comment elle le voit, et comprend que toute vision d'un pays ne peut être que subjective, tout comme sa culture.
Ce livre est à feuilleter, relire et méditer. Mais gros point négatif: l'édition. Présenté avec une couverture souple, format carnet de chèque, et une illustration tout ce qu'il y a d'anonyme et de banal - photo quasiment noir et blanc d'un café, un porte-clé d'hôtel et un MP3 sous fond de rideau blanc - ce livre ressemble plus à une brochure qu'à un vrai livre d'art et n'incite absolument pas à la consultation, voire à l'achat... quel dommage et manque de stratégie! Et les photos! Certaines, magnifiques, ne sont absolument pas mises en valeur, et par le papier et par le format, minimaliste. 
Merci Babélio et les Editions Intervalles de m'avoir permis de le découvrir.

L'aube se lève sur les routes enneigées.
Hier soir, les premiers flocons sont tombés, juste au moment où les moines disparaissaient.

Instant magique, devant cette porte de bois rouge toute décorée.
Les flocons de neige qui donnent corps à la lumière, le silence qui commence à envelopper doucement l'atmosphère.


balades




Elégie pour ma Mère - Seyhmus Dagtekin

 Lire ce recueil de poèmes fut comme une plongée dans un monde rude, à la fois végétal et animal. L'auteur, Seyhmus Dagtekin, a voulu rendre hommage à sa langue maternelle, le kurde, en la mêlant par les sonorités et les paysages de son pays à la langue française, sa langue d'adoption. On pénètre ainsi dans un univers dans lequel il n'existe plus de frontière entre le corps, la nature et la parole, tout se mêle, s'entremêle, se confond.
Chaque poème s'adresse à un personnage: le père, la mère, l'aveugle, le berger, etc... et nous emporte dans les montagnes, les campagnes, un monde de terre, de cendres et de sang. 
Le mieux sans doute est de se laisser couler au fil des phrases, au rythme lancinant et monotone des poèmes et de goûter les mots.

Je me faufilerai entre sang et neige
Je remplirai mes paumes de chants
Secouerai la terre de ma langue
et refermerai mes dents sur les jambes fragiles des sauterelles
Pour y redessiner nos mots

Les Funérailles du Matin

Cet Eté-là - Jillian Tamaki

L'entrée en adolescence est un moment fragile, des instants oscillant entre deux mondes. Ce roman graphique retrace ici un été, celui de deux gamines d'une petite dizaine d'années qui se retrouvent, comme chaque été, mais soudain trop grandes pour les dessins animés et les châteaux de sable.
Elles errent dans ce lieu de vacances, observent ce groupe de jeunes plus âgés, leurs amours, le sexe, et pénètrent sans vraiment le désirer dans le monde problématique des adultes.
C'est une petite histoire de tragédies quotidiennes, un fragment de vie à laquelle la fin des vacances met un terme, la fraîcheur, l'étrangeté et déjà la nostalgie d'une période délicate et à vif.
Les dessins sont un délice, les angles de vue pertinents, les dialogues et la traduction tout en justesse... mais j'ai regretté parfois l'absence de couleurs dans des illustrations qui auraient pu être plus émouvantes encore.