dimanche 21 juin 2015

Contes pour enfants pas sages, de Jacques Prévert

Un cheval qui rêve de révolte, une autruche qui mange les cailloux du Petit Poucet - de toute façon, pourquoi voudrait-il retrouver des parents aussi méchants et bêtes? - un éléphant de mer qui sait ce que c'est, de vivre libre... dans ce recueil, pas sûr que ce soit les grandes personnes les plus justes, les plus intelligentes ni surtout les plus logiques.
Révoltés, déçus, peinés ou certains de leur droit, les animaux ne comprennent pas les adultes ni leurs intentions. Prévert amène le lecteur à rire et réfléchir sur l'injustice.
Si les histoires sont à la fois amusantes et cruelles - à lire à partir de huit ans - elles me semblent aujourd'hui un peu décalées alors qu'elles étaient dans le feu de l'actualité au moment de la publication.
On y parle beaucoup de colonisations, on y aborde les croyances religieuses - le diable - et les châtiments corporels. Un enfant du vingt-et-unième siècle ne s'y retrouvera pas forcément... mais l'absurdité et le ton des récits lui plaira. 
Les illustrations de'Elsa Henriquez donnent un peu de légèreté et de naïfs à ces récits qui ne le sont pas.

Que les adultes n'hésitent pas à le lire!


Elsa Henriquez

samedi 20 juin 2015

Les Vitalabri, de Jean-Claude Grumberg et Ronan Badel

Merci, merci à Babelio et Actes Sud Junior pour ce beau livre que j'espérais vivement recevoir!
Coup de coeur pour ce récit, en particulier pour son thème. Les Vitalabri sont une famille qui pourrait tout aussi bien être Rom, juive ou issue de n'importe quelle autre communauté, bref elle est un symbole universel de toutes les minorités mais aussi celle des sans papiers, et de tous ceux qui n'ont pas la bonne couleur de peau, sont trop grands ou trop petits, le nez trop pointu ou trop rond, pas assez d'enfants ou beaucoup trop!
Madame Vitalabri décide un beau jour d'embarquer sa famille à la recherche d'un autre pays, un pays où elle se sentirait aimée, pas comme dans celui-ci. Il faut savoir que les Vitalabri "sont chez eux partout et nulle part, surtout nulle part. Pourquoi surtout nulle part? Parce que ceux qui sont nés quelque part, et qui ne sont chez eux que là où ils sont nés et nulle part ailleurs, n'aiment pas les Vitalabri, même ceux qui sont nés près de chez eux."
Les voilà donc, monsieur, madame Vitalabri, leurs deux petits et le plus grand, réticent à l'idée d'abandonner ses livres, en route vers LEUR pays. Après des nuits et des jours de marche, ils arrivent à une frontière, qu'ils parviennent à franchir grâce à l'aîné et son violon. Mais ce pays-là n'est pas mieux que l'autre, et malheur, l'aîné disparaît avec son violon, instrument qui provoque, ici, tout autant l'hostilité et le mépris que l'admiration et l'émotion.
L'auteur a pris soin de ne pas catégoriser les Vitalabri ni de nommer les pays traversés même si on les devine immédiatement; c'est ainsi que cette famille représente tour-à-tour différents peuples. le texte est vif, expressif, les dialogues doucement ironiques et amusants, et les illustrations, tantôt aquarelle, tantôt fusain, très belles et représentatives; elles font vaguement penser à celles de Sempé mais parfois aussi à celles de Sfar
Ce livre est bien sûr tristement d'actualité et nous rappelle ce qui s'est passé dans les années trente et quarante en Europe et ce qui, pourquoi pas pourrait se répéter, comme ici l'étoile jaune qui est remplacée par un V gravé en plein milieu du front pour reconnaître tous les Vitalabri, "parce que ça ne pouvait plus durer" dit un policier.
C'est pour moi une très bonne découverte de ce qui est publié actuellement pour les enfants un peu plus grands, en dehors de tous ces romans bit-chick-fantasy-girly etc...!


Actes Sud Junior


vendredi 19 juin 2015

Nikolski, de Nicolas Dickner

Un vaste continent -et son réseau de routes tour à tour maritimes, terrestres et aériennes -et l'océan. Celui qui est glacial, sauvage, celui qui rejette carcasses de baleines et naufragés. Et Nikolski, minuscule point invisible où est parti s'isoler Jonas Doucet, personnage central et absent de ce récit.
On imagine facilement trois fils invisibles qui relient Jonas Doucet à chacun de ses fils, qu'il ne verra jamais, et à sa nièce, qui lui est sans doute inconnue.
Ces trois jeunes adultes grandissent seuls, Noah et la narrateur chacun auprès d'une mère marginale, et Joyce auprès d'un père à la famille envahissante.
Chacun, pour contrecarrer l'absence du parent manquant, se raccroche à des symboles: une boussole indiquant Nikolski, des cartes routières, un livre sans couverture, ou encore l'histoire de la famille, descendant de pirates célèbres.
Nicolas Nikolski est très fort pour représenter ces existences presque fantomatiques, errantes. Les personnages me rappellent beaucoup ceux de Paul Auster, en particulier Marco Stanley Fogg dans Moon Palace, et j'ai aimé l'atmosphère sauvage, odorante, humide qui se dégage du roman; j'ai longtemps, aussi, attendu le moment des rencontres des personnages, suite logique de cette histoire...
L'ayant fini, je peux dire maintenant que je reste sur ma faim. Tellement d'intrigues s'ébauchent, tellement de voies sont possibles, qui, finalement, disparaissent dans un horizon trop brumeux pour qu'on les suive. Dickner a bien sûr voulu rompre avec l'intrigue classique que présageait ce récit; pour lui, sans aucun doute, l'homme n'est pas maître de son destin et sa vie est insignifiante. La construction et la fin de ce roman le rend spécial.
J'ai moins aimé le procédé trop systématique de terminer chaque chapitre sur un élément révélateur, un revirement de situation, mais l'écriture n'en reste pas moins belle et originale dans son ensemble.
Je ne sais pas encore, en fait, si j'ai vraiment aimé ou non!

dimanche 14 juin 2015

Motel Blues, de Bill Bryson


Bill Bryson, c'est un peu ce genre de mec qui a bien envie d'être copain avec vous et qui vous raconte des anecdotes amusantes de son dernier voyage dans l'intention de gagner votre sympathie. Dans son récit, dont le but est de vous ferrer, il y a de tout: de la dérision bien sûr, de l'humour et de la critique.

Au début, on aurait tendance à penser: "il est un peu lourd celui-là" quant à ses clichés, et puis finalement pointe une certaine sensibilité, une certaine fragilité, ou bien faiblesse, qui nous attendrit, et le tour est joué: on écoute la suite du récit, on pose des questions, on attend la suite fasciné et quand le récit est fini, on échange les coordonnées dans l'espoir d'une prochaine rencontre et de nouvelles aventures.
Et nous voilà, énième conquis par ce gentil garçon attendrissant.


 
                                 Je suis né à Des Moines. Ce sont des choses qui arrivent. 


Bon, ce que je veux dire, c'est qu'il suffit de quelques lignes pour se convaincre que Bill Bryson est un garçon tout-à-fait abordable et cool, puis de quelques pages encore pour se dire que finalement, peut-être pas. Car dans Motel Blues, récit de son parcours des Etats-Unis d'Est en Ouest, Bill Bryson observe, ressasse le passé, mais ne fait pas de rencontres mirobolantes et même, dirais-je, se tient en général à l'écart de la populace quelle qu'elle soit. 
Son évocation des States n'en reste pas moins originale et intéressante pour divers points:
1. c'est le regard d'un Américain exilé depuis longtemps en Angleterre qu'il porte sur son pays maternel
2. c'est le regard d'un gars du Midwest - Iowa - au travers de celui de son père décédé qui a trimballé sa famille dans des lieux plus incongrus les uns que les autres pour les traditionnelles vacances annuelles
3. Bill Bryson évite systématiquement grosses villes, hauts lieux touristiques, pour ne s'arrêter que dans des patelins sans importance, ce qu'on appelle l'Amérique profonde"

 En tout cas, les premiers explorateurs français qui traversèrent le nord-ouest du Wyoming ont jeté un coup d'oeil aux montagnes et se sont exclamés: "zut alors! Hé! Jacques, vise-moi ces montagnes. On dirait tout à fait les tétons de ma femme. " C'est bien typique des Français, ça. Ils faut qu'ils réduisent tout à un niveau bassement sexuel. Remercions la Providence qu'ils n'aient pas découvert le Grand Canyon, c'est tout ce que je peux dire. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les Tetons ressemblent autant à des nichons qu'à une poêle à frire ou à une paire de chaussures de marche. En un mot ils n'évoquent pas du tout une paire de nichons, sauf peut-être pour des hommes désespérément solitaires qui ont quitté leur foyer depuis très, très longtemps. Personnellement, j'ai trouvé qu'ils ressemblaient un peu à des nichons.
      
S'il est plein d'humour, le ton n'est jamais vulgaire, et Bill Bryson n'est pas en reste pour décrire sans emphase des paysages d'une splendeur toute simple.
Bref, ce roman offre un voyage original à travers les Etats-Unis, son histoire et sa culture, que Bill Bryson ne manque pas de critiquer tout en y étant lui-même très attaché: cuisine, base-ball, musées en tout genre -sauf artistiques! - guerres historiques, politique américaine font partie de son génome et si sa migration en Angleterre a légèrement transformé le regard qu'il porte sur son pays, il n'en est pas moins profondément Américain, par son humour et certaines de ses réflexions.


samedi 13 juin 2015

Posy Simmonds et le monde littéraire




Je connaissais Tamara Drewe de l'époque où je vivais en Ecosse et où le journal the Guardian publiait des épisodes de cet album, mais mes lectures étaient sporadiques et il me manquait quelques éléments.
D'entendre parler de l'adaptation de son autre album, Gemma Bovery depuis quelques temps m'a donné envie de replonger dans cet univers, et j'ai d'abord emprunté Literary Life - même titre mais traduit en français - puis enchaîné sur Tamara Drewe, cette foi-ci lu du début à la fin!

Dans ces deux romans graphiques, Posy Simmonds s'attaque à un thème peu abordé - en tout cas de ce que j'en juge de mes lectures!- l'univers de la littérature. Dans Literary Life, série de planches indépendantes les unes des autres, on retrouve pêle-mêle écrivains de tous âges et réputation, libraires, lecteurs, conjoints d'écrivains, personnages littéraires et le plus insolite de tous, Docteur Derek qui, accompagné de l'infirmière Tozer, s'occupe d'écrivains en panne d'inspiration ou souffrant de troubles d'écriture -plagiat, clichés, page blanche, etc... - 


Dans Tamara Drewe, on reste plus ou moins dans la même atmosphère mais cette fois-ci les planches font partie d'un seul et même récit aboutissant à une chute digne d'un roman policier -léger, quand même! - Ecrivains en résidence en pleine campagne anglaise confrontés à un couple d'écrivain et sa femme qui gère tout pour que ses écrivains chéris puissent écrire dans une tranquillité absolue. L'arrivée d'une jeune et belle femme dans le voisinage viendra troubler la vie faussement paisible de cette résidence pleine de non-dits.


J'ai adoré la légèreté du premier livre et son ton humoristique et sarcastique, démystifiant la vie secrète de ces écrivains tant admirés, et j'ai retrouvé ce ton dans Tamara Drewe, avec une intensité dramatique en plus qui donne une profondeur absente dans le premier à ce roman graphique qui se lit, vraiment, comme un roman. 
J'admire également la précision des dessins, l'authenticité des émotions, la caractérisation de chaque personnage, et j'ai pris un grand plaisir à enchaîner les deux lectures!


mercredi 3 juin 2015

Mes cent Démons! de Lynda Barry






















Les cent démons, c'est avant tout un exercice de peinture, à partir d'une pierre à encre et d'un bâton d'encre, à créer les démons qui révéleront les démons intérieurs.
Des démons intérieurs, Lynda en a pas mal, à commencer par la souffrance d'avoir une mère peu aimante mais aussi un secret qu'elle s'est appliquée à effacer de sa mémoire.
Originaire en partie des Philippines mais rousse aux taches de rousseur, élevée par une mère acariâtre et aigrie et une grand-mère beaucoup plus affectueuse dans une banlieue populaire américaine, Lynda est un garçon manqué mal dans sa peau, un peu décalée, inadaptée qui ne rêve que de s'intégrer.
On apprend, par ce roman composé de courts chapitres, ses débuts d'artiste, ses expériences précoces des drogues et de l'amour, son mal-être et les influences de ses origines philippines.
A la quarantaine passée, Lynda Barry se retourne vers cette enfance qu'elle essaie d'analyser, tentant de comprendre la nature de ses oublis et de ses comportements, bafouant si nécessaire les idées figées et préconçues qu'on peut avoir sur la résilience des enfants en difficulté psychologique.
Outre ce travail d'analyse, l'originalité de cet album, c'est ces double pages qui introduisent à chaque fois le chapitre, composées sous forme de scrapbooking rappelant les illustrations qui suivent avec rajouts de photos, de découpages papier etc... bref un vrai travail de création.
Ce roman graphique a fait partie de la sélection officielle du Festival d'Angoulême 2015. Lynda Barry est une artiste connue depuis de nombreuses années aux Etats-Unis pour ses publications dans les journaux. A ce propos, on a souvent tendance à oublier, fiers de la production de notre pays, que les Etats-Unis regorgent d'auteurs de bande-dessinée tous plus talentueux les uns que les autres.

Cette capacité à exister de façon morcelée, c'est ce que les adultes appellent la résilience. Et je pense qu'en un sens c'est une forme cruelle de résilience qui fait croire aux adultes que les enfants oublient les traumatismes.





mardi 2 juin 2015

changer la vie d'Antoine Audouard

Si le début du roman m'a légèrement déstabilisée - le titre du chapitre en anglais, sans doute le titre ou les paroles d'une chanson, l'interpellation d'un "tu", des références au Mépris... - mais agréablement surprise, passé quelques pages, le récit s'installe peu à peu et se lit de plus en plus aisément.
1981, l'année de l'élection de François Mitterrand, source de promesses d'une nouvelle vie pour une bonne partie des intellectuels dont les jeunes André et François font partie. autour d'eux on milite, on argumente, et du haut de ses 30 années de recul, André émet des réserves sur cette promesse de changements.
1981, c'est surtout pour nos deux jeunes étudiants l'année qui fera sans doute d'eux des hommes. Tous deux s'embarquent, suite à la rencontre d'une riche Américaine qu'ils sont chargés d'escorter pour un soir, à New York pour y travailler tout un été.
Jamais Antoine Audouard ne tombe dans la nostalgie, les regrets ou le paternalisme, au contraire le ton est frais, moderne, le livre est un plaisir à lire. Il touche sans en avoir l'air des thèmes tels que la résistance et la torture par le personnage de Jenny qui m'a particulièrement touché. Les personnages sont attachants, qu'ils soient secondaires ou même à peine évoqués et je serais bien restée un petit moment supplémentaire avec eux.
  Les phrases, entrecoupées de dialogues en discours indirect libre, font la part belle à l'anglais - j'avoue que ce n'est pas toujours très naturel -, expressions qu'un traducteur critique s'empresse de traduire et de commenter.
J'avoue, j'étais un sceptique au moment de la réception du livre, m'attendant à une écriture plus classique et nostalgique et au fur à et mesure que j'avançais dans le récit mon plaisir grandissait.

Je remercie Babelio et Gallimard pour cet envoi!


Ain't that a bitch?" dit-il en s'essuyant le front, puis il me secoua la main. "André, so glad you made it here. Le dernier stagiaire qu'on a perdu a fini par être retrouvé dans l'Hudson au bout de trois mois; avec toi on est en progrès..."