mercredi 19 août 2015

Le Fantôme de l'Opéra, et affinités...

Mon seul repère, avant de lire le roman de Gaston Leroux, était Phantom of the Paradise de Brian de Palma: un classique vu et revu, et une B.O superbe (très 70 quand même!): un compositeur génial manipulé, défiguré, qui erre dans le Paradise pour se venger. Si vous ne l'avez pas vu, voici la bande-annonce, je vous le conseille vivement:




Le Fantôme de l'Opéra est légèrement différent mais tout aussi envoûtant. Tout le monde connaît plus ou moins l'histoire, du moins les grandes lignes: un soi-disant fantôme erre dans les coulisses de l'opéra Garnier et provoque accidents et disparitions lorsqu'on ne satisfait pas ses demandes: pendaison du machiniste, loge n.5 hantée, couacs dans le chant céleste de la cantatrice, chute d'un lustre dans le public, enlèvements et séquestration... 
Gaston Leroux prend le parti de narrer cet épisode de l'Opéra Garnier sous forme d'une enquête documentée, preuves à l'appui, notes en bas de page pour en authentifier la véracité. Malgré tout, le récit nous plonge peu à peu dans un univers fantastique et terrifiant, en nous entraînant dans les sous-sols infernaux de l'Opéra. Les descriptions de ces souterrains, le lac, la demeure du fantôme et la chambre des supplices sont si détaillées qu'on y croirait sans peine et il est impossible d'arrêter la lecture une fois qu'on suit les pas de Raoul, à la recherche de sa bien-aimée Christine enlevée par le fantôme. 
Christine... parlons-en: douce, innocente, pure, parfait pour les romans et films d'épouvante (dans les films d'horreur des années 70, les victimes portent souvent une longue chemise de nuit blanche, non?). Pourquoi, mais pourquoi retourne-t'elle une dernière fois vers le fantôme??? On voit qu'elle n'a jamais vu de films d'horreur, elle! Je la soupçonne même, d'ailleurs, de souffrir du syndrome de Stockholm (vous savez, les otages qui prennent leur otage en pitié et les défendent). 
scène de la première adaptation, Julian Rupert, 1925
Bien sûr, le Fantôme de l'Opéra est un roman d'épouvante, mais l'auteur ne se prive pas de se moquer de ses personnages, tous un peu ridicules par moments, et l'humour est présent tout au long du livre. 
Je lis très peu le genre fantastique, mais ce roman a été une très belle découverte, merci Lilo85 pour cette "pioche dans ma Pal"!


Je me suis demandé si la chambre des supplices, avec son jeu de miroirs dont le but est de dérouter la victime, a inspiré Orson Welles dans Citizen Kane, qui a lui-même inspiré Woody Allen dans Meurtre Mystérieux à Manhattan, mais sans doute ces miroirs font partie des symboles cinématographiques, tout comme le lac souterrain inspiré de la Divine Comédie et qu'on retrouve dans Bilbo le Hobbit par exemple...

Citizen Kane, Orson Welles

Je criai. Ma voix seule emplissait les murs, car le chant et les violons s'étaient tus. Et voilà que soudain, dans le noir, une main se posait sur la mienne... ou plutôt quelque chose d'osseux et de glacé qui m'emprisonna le poignet et ne me lâcha plus. Je criai. Un bras m'emprisonna la taille et je fus soulevée... Je me débattis un instant dans de l'horreur; mes doigts glissèrent au long des pierres humides, où ils ne s'accrochèrent point. Et puis, je ne remuai plus, j'ai cru que j'allais mourir d'épouvante. On m'emportait vers la petite lueur rouge; nous entrâmes dans cette lueur et alors je vis que j'étais entre les mains d'un homme enveloppé d'un grand manteau noir et qui avait un masque qui lui cachait tout le visage... Je tentai un effort suprême: mes membres se raidirent, ma bouche s'ouvrit encore pour hurler mon effroi, mais une main la ferma, une main que je sentis sur mes lèvres, sur ma chair... et qui sentait la mort! Je m'évanouis.

dimanche 16 août 2015

Le Voyage d'Octavio, de Miguel Bonnefoy

Ce petit roman écrit pas un jeune franco-vénézuélien fait tout de suite penser aux romans latino-américains par son côté fable picaresque, ce qui n'est pas pour déplaire. Le récit frôle constamment le merveilleux, l'onirique.
Le héros, Octavio, est pauvre, analphabète et peu enclin aux bavardages. Son analphabétisme l'empêche de se mêler au monde des liseurs, et la ruse est indispensable. Pour éviter de devoir écrire, il se coupe régulièrement la main et porte un bandage - il pourrait le porter sans avoir à se couper avant, mais l'honnêteté l'emporte - pour s'excuser de ne pouvoir tenir un stylo.
Pris dans un cambriolage qui tourne mal, il se contraint à s'exiler. Il quitte donc Saint-Paul du Limon- petite ville qui doit son nom à un citronnier salvateur, selon une légende - et parcourt les chemins d'un Vénézuela fantasmatique et intemporel.
Ce voyage forgera Octavio, le révèlera à lui-même.
Le roman suit une structure classique - la quête, le voyage initiatique, la fable - et l'écriture est merveilleusement maîtrisée, je dirais même trop appliquée. Mais finalement, il y a aussi tellement d'invention dans ce récit qu'il nous emporte jusqu'aux dernières pages avec plaisir et dans la surprise.
Miguel Bonnefoy: à suivre.


Les flots poussèrent un râle dément, sourd. Tandis qu'Octavio avançait, le torrent poussait comme un bélier. Les muscles de l'hôte se réduisaient, son squelette s'amincissait, Octavio le sentait s'affaiblir, s'amollir en route. Et pourtant, à chaque pas, la charge se faisait plus lourde. L'hôte ne parlait déjà plus, il gazouillait comme un nouveau né. Ses jambes devinrent ballantes autour de la nuque, ses mains jouaient avec l'air. Il perdait son âge.