dimanche 28 février 2016

Au tour de l'amour, de Biefnot-Dannemark


Lui, c'est Francis Dannemark, elle, Véronique Biefnot. Ils ont échangé une correspondance de plusieurs mois, se répondant, s'inspirant l'un de l'autre. Le résultat est ce recueil de poèmes hybrides, dans lequel deux vois s'emmêlent et que Véronique Biefnot a accompagné de dessins et peintures délicates ou sensuelles.


Je les ai rencontrés à la librairie Privat, à Toulouse, venus vendre leur dernier livre à quatre mains, La Route des Coquelicots, mais c'est Au Tour de l'Amour, plus original, avec lequel je suis repartie. Couple sympathique, elle fragile - et pourtant pleine de force, mais c'est aussi parce que j'ai lu les Murmures de la Terre que je la vois ainsi - lui volubile et souriant.



Ce que j'ai aimé dans ce recueil, c'est d'essayer de savoir lequel avec écrit quoi, car les textes ne sont pas signés. J'apprécie aussi le livre en lui-même, la qualité du papier et les illustrations.



Quant aux poèmes, ils traitent essentiellement d'amour, du corps, du désir, de la rencontre, de l'absence. Ils ne sont pas particulièrement originaux, émouvants certes, mais parfois une phrase étincelle dans l'ensemble...







J'ai plus aimé la correspondance entre Wallis et Ashvin, couple d'un futur lointain séparés par leur caste dans une civilisation à qui on interdit de rêver et qui ne connaît plus ni l'écriture ni la lecture... un texte symbolique sur le pouvoir de l'imagination et de la création. 
D'ailleurs, le recueil se termine sur des pages blanches intitulées"A vous", invitation à prolonger l'amour...


Des gens meurent, il faut attraper quand même le train de huit heures, fracas des roues, grincements et vapeurs sales où cacher sans rien dire le chagrin des départs, et plus tard, par la fenêtre, dans les paisibles prairies du ciel, quelque chose qui bouge, oiseau peut-être, la traîne blanche d'un aéroplane, ou la plume d'un ange, qui se balance doucement, oh, si doucement.

dimanche 21 février 2016

Voyage aux îles de la Désolation, d'Emmanuel Lepage



 Au premier abord, j'avais hésité à prendre ce livre, trouvant les illustrations trop ternes et trop réalistes, mais le titre m'a retenue. Finalement, ce seront elles, surtout, qu'il me restera quand je repenserai à cette magnifique BD!L'auteur, Emmanuel Lepage, se retrouve embarqué à bord du Marion, en partance pour l'autre bout du monde: les îles australes Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, au sud du continent africain. Son rôle, illustrer, auprès de son frère photographe et de leur amie Caroline, journaliste, la rotation des équipes scientifiques travaillant sur ces îles.
On ne peut pas dire que le récit soit plein de rebondissements, mais le voyage en lui-même et la vie de ces marins et scientifiques est une aventure en soi. Isolés du reste du monde dans un milieu hostile de glace et de tempêtes, entourés de manchots et d'éléphants de mer, interdits de cultures de fruits et de légumes pour ne pas nuire à la flore endémique tout comme ils vont l'être bientôt de bétail, ces hommes et ces femmes qui oeuvrent pour la science méritent la reconnaissance et c'est l'objectif de cette BD, faire connaître leur travail et ce qu'ils endurent.
Les marins du Marion ne sont pas en reste. Il en faut d'exceptionnels pour lutter contre la violence de la nature et mener ces scientifiques à bon port. 


Le récit de cette rotation est efficacement racontée, les îles baignent dans le mystère dont Lepage essaie de s'emparer, parfois désemparé de ne les découvrir que pour quelques heures, quelques jours. Toutes ont un passé, des deuils, des couples qui se forment, des tragédies du temps des colonisations. 
Mais là où j'ai été époustouflée, c'est par la maîtrise de Lepage quant aux illustrations: crayons noirs, aquarelles, gouache, et notamment la texture du papier épais que l'album rend si bien, un véritable travail tour-à-tour de précision et d'aplats de couleur. 
Lepage dit s'attacher au réalisme mais, je dois bien l'avouer, ce sont ses paysages impressionnistes qui m'ont subjuguée.





mardi 9 février 2016

Ejo, de Beata Umubyeyi Mairesse

Ejo, en kinyarwanda, signifie à la fois hier et demain. Dans ce recueil de nouvelles, 10 au total, c'est exactement de ça qu'il s'agit: le génocide avant, et après.
Beata Umubyeyi Mairesse était là, au Rwanda, en 1994, lorsque tant de Tutsi ont été massacrés. Cachée dans une cave pendant trois mois, miraculeusement sauvée, elle a pu se réfugier en France et y continuer ses études.
Mais dans ce recueil, ce n'est pas d'elle qu'il s'agit, ou sans doute d'elle mais fragmentée, découpée en autant de portraits de rescapés: hommes ou femmes avant le génocide, ou revenant dans leur pays des années après tandis que d'autres y sont restés pour patiemment rechercher les ossements de leurs proches et les enterrer dignement.
Jamais Beata n'écrit directement l'horreur du génocide. Ses mots tournent autour, le frôlent dangereusement mais le contournent, trou béant, vide cauchemardesque    omniprésent mais encore intouchable réellement. Bien sûr on devine, les blessures sont là, les mots crus, directs aussi, ces frères et soeurs découpés, les ossements déterrés par les corbeaux... une réalité horrifique, mais une réalité quand même.
Chacune des dix nouvelles sont comme des tableaux du Rwanda sur une vingtaine d'années, bruts tout en restant pudiques, révoltés, désespérés. Comment écrire sur une telle réalité? Beata Umubyeyi Mairesse y arrive pourtant d'une plume fine, intelligente mais sans concession.
Merci Babelio et La Cheminante -maison d'édition que je garde en mémoire - pour cette belle découverte. J'espère que Beata Umubyeyi Mairesse ne s'arrêtera pas là.