lundi 28 mars 2016

La Femme tombée du Ciel, de Paula Gunn Allen

Dans ce recueil de nouvelles indiennes, on trouve certes quelques tipis et grands espaces, mais aussi de l'alcool, de la pauvreté et un bordel.
Dans tous ces univers, les croyances et les légendes indiennes ne sont jamais loin. L'auteur de ce livre, Paula Gunn Allen, indienne métisse, poète, romancière et enseignante, a pris soin de mettre par exemple en parallèle plusieurs versions de la Femme Maïs dont la dernière, contemporaine, n'en garde plus que quelques traits.

Idem pour la nouvelle de Louise Erdrich, dans laquelle on peut identifier plusieurs motifs de légendes indiennes, la sorcière qui enlève l'enfant par exemple, même si ici c'est une assistante sociale qui vient prendre son fils à Albertine American Horse, considérée comme alcoolique et incapable d'élever seule son enfant. 

Louise Erdrich

Au fil des dix-sept récits, tous racontés par des femmes indiennes de ce siècle ou du dernier - dont beaucoup sont romancières ou poètes - on peut progresser dans l'Histoire des peuples indiens, remonter très loin dans le temps, assister à la rencontre des premiers colons, désireux de convertir ces sauvages. Il y a parfois des amours qui naissent, mais dans ces histoires,  les fréquentations des Blancs ne sont jamais positives au final, à part dans la dernière histoire peut-être, ou une femme Indienne passe une soirée auprès d'un immigrant irlandais, à New York.
Il y est question de marchandages, d'enlèvements de filles, mais aussi d'esprits sages qui aident les personnages à trouver leur chemin et des traditions qui perdurent au travers des danses, des chants et des costumes.

Edward S.Curtis, Jeunes filles Tewa en 1922, Wikipedia


Je soupçonne un léger parti pris limite anti-blanc de la part de Paula Gunn Allen, mais peut-être rêvais-je de belles unions qui effaceraient un peu la sauvagerie de cette colonisation américaine... 
J'ai été, cependant, surprise de constater que la culture indienne était encore aussi présente, et sans aucun doute remise en avant par toute une génération passée par l'instruction qui reviennent à leurs origines.

Une très belle découverte.  


Tant qu'un peuple ne peut exercer aucun contrôle sur la façon dont il est décrit, que son sentiment d'identité est bafoué à chaque instant dans les livres, les films, les programmes de radio et de télévision, il ne peut que se décourager. Mais quand il se met à définir lui-même les images données de lui, alors le simple espoir de survivre peut faire place à une espérance plus ample: celle de s'affirmer, de vivre, de désirer vivre.



Edward S.Curtis

lundi 14 mars 2016

La Compagnie des Artistes, de Chris Womersley


J'aime les romans initiatiques, car sur un terreau fertile se mêle aventure et l'étude psychologique. Dans ce roman au titre que je trouve ridicule - et dont le côté serein ne reflète absolument pas le contenu du livre - un jeune garçon de dix-huit ans, Tom, quitte sa petite ville, une mère divorcée distante et deux grandes soeurs harcelantes pour s'installer dans l'appartement de sa tante qui vient de décéder. 

Celle-ci, que Tom vénérait, vivait dans un quartier bohème de Melbourne, de quoi faire rêver l'ado en quête de sensations. Il rencontre bientôt Max Cheever et ses amis, artistes vivant aux marges de la société, buveurs, drogués et dandy. 
Jeune et naïf, Tom admire la bande et laisse tomber l'université pour vivre à leur rythme. Passif, il se laisse embarquer dans le projet d'enlèvement de la célèbre Femme qui pleure de Picasso, tout juste rachetée par le musée de la ville.
La première partie du roman se développe tranquillement, installant les personnages et le quartier. Ensuite, le rythme s'emballe autour d'un Tom dépassé et désarmé, avant le dénouement. 
Cairo, Melbourne
L'intrigue aurait pu s'enfoncer plus loin dans la noirceur, mais elle est agréable et suffisamment prenante pour se laisser embarquer avec le personnage. Les autres ne sont pas très originaux, le couple Max - Sally m'a souvent fait penser à Nicole et Dick, dans Tendre et la Nuit, ainsi que leur mode de vie bohème et leurs aspirations - mais j'ai aimé ce milieu décalé et j'ai été prise par l'histoire. 
Je ne le conseillerais pas aux grands amateurs de thriller, bien sûr, mais si vous cherchez un roman pour un bon weekend au chaud - ou au soleil! - celui-ci est pas mal du tout.
Merci beaucoup à Babelio et Albin Michel.


L'innocence, je l'ai depuis compris, est un état à chérir et à redouter tout à la fois.

mercredi 9 mars 2016

Mon voyage en Amérique, de Blaise Cendrars


Encore jeune et inconnu mais déjà aventurier, Frédéric Sauser alias Blaise Cendrars quitte Saint-Pétersbourg, où il a vécu, pour New York à bord d'un bateau. C'est l'occasion pour lui de sortir cahiers et crayons et de se laisser aller à l'inspiration que lui apporte l'immensité de l'océan et la longueur des jours.

Dans ce texte, on y découvre un jeune auteur sombre, solitaire et intransigeant, que la foule humaine dégoûte, que la cohabitation débecte. Dans cette traversée de l'Atlantique, ses vrais compagnons s'appellent GoetheNerval et Rémy de Gourmont. Ses principales préoccupations? Résister au mal de mer, écrire, s'efforcer d'être fort et courageux auprès de Féla qui l'attend à New York...
Ce texte préfigure la naissance de Blaise Cendrars - la braise et la cendre, le phénix - et de son premier grand poème, Les Pâques. 
Le poème qui clôt le livre, le Volturno, du nom du bateau qui le ramène à "l'Europe pourrie" de 1911, était inédit jusqu'alors. 
éditions Fata Morgana
Mon Voyage en Amérique est un beau livre illustré par Pierre Alechinsky, peintre et graveur qui a illustré d'autres recueils des éditions Fata Morgana
J'ai aimé le livre en tant qu'objet, ainsi que de découvrir Blaise Cendrars jeune, ambitieux et beaucoup plus fermé qu'il ne l'a été par la suite, mais déjà grand écrivain et observateur né.



L'aspect si sévère de l'océan, que je compare toujours à des vagues pétrifiées, à une monstrueuse étendue de granit, où traînent des brumes et de la pluie d'écume; ce rythme éternel, simple, jusque dans sa plus effroyable horreur, jamais démonté, sauf si un obstacle inattendu (bateau, roc) l'énerve; cette ligne précise de l'horizon qui vous encercle; ce ciel immense de lueurs, de blancheurs de d'éclats; ces nuages qui, comme des continents en voyage, rôdent; tout ceci et tout cela, plus encore l'absolu tout, l'unité, la confondation insensible de ce ciel et de cette mer, élève l'esprit à une telle potence exceptionnelle de contemplation, que l'âme doit être aussi ardente que le soleil pour parcourir seule, sans frissons, la sphéroïdité de son quotidien cours pour ne pas défaillir au méridien.